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Les enfants d’Aphrodite

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La phobie du monde révélée par la pandémie du coronavirus trouve un ancrage mythologique dans l’union adultère d’Aphrodite et Arès. Les fruits de cette passion, Phobos, Deimos, et Harmonie vont scénariser les manifestations de la violence du désir et la puissance de son refoulement.

Freud va développer la névrose phobique à partir de l’hystérie. Cette pathologie est première au niveau phylogénétique, elle est connue depuis l’Antiquité, Hippocrate l’a nommée usteria, ce qui veut dire utérus. Ce nom pointe déjà l’origine sexuelle des névroses.  Elle est également première au niveau de l’individu. Lors des moments d’absence de sa mère, le bébé répète ses appels, de plus en plus pressants, jusqu’à ce qu’elle réapparaisse. Cette expression du processus de séparation de cette dyade mère-enfant sur un mode hystérique est donc un mode de fonctionnement « presque » normal au début de la vie.
Le déclenchement de la phobie s’origine dans un désir « inacceptable » dont la représentation est refoulée, et d’un autre côté, de « l’affect non libéré », non exprimé, comme la peur, la culpabilité, provoqué par l’évènement. Cet affect libère une angoisse, dite « flottante » qui va trouver un autre objet, un nouvel objet dit « phobique ». Freud découvre que la phobie s’origine dans le conflit œdipien, puis dans un second temps, il donne toute son importance à la qualité du lien entre la mère et l’enfant. Les cas cliniques révéleront une fonction maternelle trop protectrice articulée à une fonction paternelle souvent défaillante.
Nous sommes déjà en parallèle avec l’évolution de notre société surprotégée et privée du Logos.

Il convient de distinguer l’angoisse de la peur. Si la peur est une émotion précieuse pour protéger efficacement du danger, elle devient pathologique lorsqu’elle est irrationnelle, disproportionnée, ou sans rapport direct avec la réalité. Il ne s’agit plus alors de peur mais de phobies.
Freud fait remonter l’angoisse à trois pertes, trois grandes séparations qui sont à la source de l’existence : En premier, au traumatisme de la naissance comme prototype des suivantes, puis à la séparation de la mère et enfin à l’angoisse de castration. (sexuation, perte du Phallus, perte de la Toute-puissance).

Visitons maintenant la façon dont la Grèce Antique avait imagé ces concepts psychologiques et comment les appliquer au monde contemporain.
Prenons pour exemple le mythe d’Aphrodite :
Symbole du désir et de l’amour, née de la castration d’Ouranos par son fils Chronos, elle est la plus belle des déesses du panthéon Grec. Aphrodite est une des plus anciennes divinités, l’ainée des Moires et la sœur des Erinyes.
Elle charme irrésistiblement les Dieux comme les mortels, mais elle est également nommée « déesse de la Vie dans la Mort » et de « la Mort dans la Vie », car elle symbolise autant l’élan vital que le «ravage du désir», elle tue, ou elle fait perdre l’esprit.
D’ailleurs, la pire calamité pour un Grec était de tomber amoureux d’une femme.
Nous voyons, par elle, que les deux principes, Eros et Thanatos, sont conjointement à l’origine de l’existence.
Aphrodite est mariée à Héphaïstos, le génial orfèvre boiteux, mais c’est Arès, son amant, qu’elle choisira pour être le père de trois de ses enfants. Arès symbolise la force brute et aveugle, le goût du sang et du meurtre. Ce dieu, « au beau corps, fougueux, ivrogne et querelleur », aime la guerre. Sa sœur Eris, la Discorde, l’accompagne dans ses combats.
Le couple illégitime enfante d’abord les jumeaux Phobos et Deimos. Phobos signifie la panique, la fuite et la déroute avant la guerre et Deimos, la terreur pendant les combats.

Par cette procréation repoussante, le mythe nous dit qu’une union pulsionnelle transgressive et passionnelle, telle l’union du désir aphrodisiaque et de l’agressivité  guerrière, ne trouve comme issue que la névrose d’angoisse en accouchant de la phobie destructrice.
Aphrodite et Arès ont eu également une fille, Harmonie. Quel étrange prénom pour la fille de ce couple adultère.  Notons que le mythe nous indique toujours une possibilité de sortie, un troisième terme dans une dualité emprisonnée dans son conflit. Après le combat et l’adversité, Harmonie vient ouvrir sur une harmonie – dans la vie !
En cadeau de mariage, Cadmos, le fondateur de Thèbes, offrit à son épouse Harmonie un collier fabriqué par Héphaïstos, représentant un aigle et un serpent, réunion célestielle et chtonienne. Malheureusement, ce collier transmettra à tous ses possesseurs une funeste destinée. Il sera l’emblème de la malédiction des Labdacides.
Je cite R. Graves (1) commentant ce prénom : « ne symbolise-t-il pas que, de tous temps comme de nos jours,  lorsqu’un pays est en guerre, les sentiments sont exaltés et qu’il règne une certaine harmonie dans les cœurs et dans les êtres ».
Harmonie, épouse d’un fondateur de cité, symbolise l’harmonie sociale recherchée. (cf. La semblance d’harmonie lors du rituel des applaudissements au personnel soignant pendant la première période de confinement). Mais elle représente aussi la difficulté très actuelle de joindre le spirituel et l’incarnation. Hier comme aujourd’hui, l’amour de soi, le narcissisme sont préférés à la difficile dialectique avec l’autre dans le respect de la liberté de chacun.
La crise actuelle est révélatrice du manque d’altérité de nos sociétés. Et bien sûr du refoulement de notre condition de mortels.  

Aphrodite sera à l’origine de la guerre de Troie. Lors des noces de Thémis et Pélée, Eris, furieuse de n’avoir pas été invitée, lança la pomme de la discorde en disant ces mots « pour la plus belle ». Héra, Athéna et Aphrodite, rivalisant de beauté, proposèrent chacune un cadeau prestigieux à Pâris pour qu’il la choisisse. C’est Aphrodite qui gagna et elle lui offrit l’amour d’Hélène, l’épouse du roi de Sparte Ménélas. Pâris, fils de Priam roi de Troie, enleva Hélène et ce fût le déclenchement de la guerre. 
Décidément Aphrodite est prête à tout pour séduire !
Dans notre civilisation, la jouissance et la puissance du désir continuent de régner en maîtres absolus.
Le filet d’or d’Héphaïstos, jeté sur les amants amoraux, symbolise bien l’enfermement de cette posture qui refuse toutes limites au profit d’un éphémère « toujours plus de jouissance ».
Arès, la violence aveugle, stupide, et Aphrodite, l’amour-séduction qui ne renonce à rien pour satisfaire ses désirs de conquêtes, semblent bien être des composantes de la société actuelle, où l’affrontement devient un mode d’être au monde.

Aujourd’hui les débats polémiques sur la question vaccinale font rage, deux camps irréductibles se rejettent la responsabilité de l’aggravation de l’état sanitaire et social. Les uns pointent l’irresponsabilité des autres, les invectives sombrent dans un dualisme sans issue.
Nous pouvons à juste titre nous demander s’il n’y a pas une grande part de délire dans ce combat.
Quand  Le Ministre Blanquer fait l’annonce, en plein mouvement social, de nouvelles mesures sanitaires liberticides, en direct de l’ile d’Ibiza où il fait la fête en boîte de nuit, ou quand le Président Macron se permet de dire à des citoyens Français qu’il a bien envie de les emmerder jusqu’au bout, et que c’est là sa stratégie !  Alors, nous ne pouvons plus éluder cet autre grand symptôme de l’hystérie et de la phobie : l’altération de la réalité.

Phobos, la panique, la fuite et la déroute, a envahi les esprits et l’angoisse s’est transférée dans un « objet phobique », la covid-19 et ses variants. Au gré des mutations du virus, cet objet phobique a lui-même opéré plusieurs déplacements notamment vers les joggers, pendant le « grand confinement », puis, plus récemment, vers les « antivax », quand ce ne sont pas les jeunes enfants, que l’on voudrait voir garantir la sécurité des personnes âgées !
Le monde occidental, est le plus fortement touché par cette pandémie et aussi le plus impacté par l’hystérie et la phobie.
Nous vivons dans une société caractérisée par la régression, qui réclame mesures sécuritaires et principes de précaution, principes liberticides par essence.  
Les individus sont en demande d’être maternés. Le désir de fusion à la « mère-patrie » est bien réel, les discours politiques sur le retour du Nationalisme en sont des témoins.
Le monde s’est « infantilisé ». 
La doxa scientifique, faisant fi des savoirs anciens, a permis que vole en éclats la triangulation : corps, âme et esprit, nous menant à l’objectivation du corps.
Le mythe nous éclaire sur les effets de la toute « jouissance » de l’objet, et la pulsion guerrière éclate au grand jour.
Refus de la mort, de la sexuation, ces limites que nous refusons de toutes nos forces, nous barrent tout accès à la conscience. Mais plus encore, nos capacités d’être, pleinement, s’en trouvent réduites, car ce qui est vécu n’est plus qu’un fantasme. Fantasme de tout savoir, de tout maîtriser, de jouir toujours, fantasme de toute-puissance.
Ce sentiment de toute-puissance est encore une caractéristique de l’hystérie.

Et toujours rien de notre modèle de société n’est sérieusement remis en cause. Même si nous en parlons sans cesse, nous refusons obstinément d’acter que l’hubris manifesté dans tous les domaines met notre espèce en réel danger de disparaitre de cette planète.
Car, nous le savons, nous pouvons aussi trouver un sens à cette pandémie, entre autres, dans notre rapport à la biodiversité et à l’animal. Là encore, l’homme a le désir d’objectiver les éléments de la nature, et donc les animaux. La question de la zoonose doit être discutée, la destruction de la diversité affaiblit fortement notre système immunitaire. En Chine, la capture de milliers de chauve-souris sauvages pour les vendre sur les marchés de WUHAN, au milieu d’une foule d’humains, a favorisé la transmission du virus.
Les désastres écologiques auxquels nous assistons ces dernières années, les grands incendies, les inondations, les tsunamis, les sècheresses … ainsi que les déplacements migratoires des populations, et donc leur souffrance, nous renvoient au déchainement de ces puissances chtoniennes décrites par Hésiode dans la Titanomachie. 
Nous n’avons pas invité Eris et les Erinyes, anciennes déesses, à notre grand banquet consumériste, mais elles travaillent en fond et réclament leur tribu ! 
Les noces d’Harmonie et de Cadmos furent la dernière célébration du dernier repas pris ensemble entre les hommes et les dieux. Depuis, les hommes ont dû quitter la table des dieux. Comme dans le mythe de la Chute du Paradis, cette scission entre les hommes et les dieux est à l’origine de l’incarnation, elle figure le traumatisme de la naissance et la destinée laborieuse et parfois cruelle de Caïn ou Œdipe, les boiteux maudits. L’homme du monde moderne refoule cette vérité au profit d’une illusion d’immortalité.
Et pourtant c’est dans cette chute que l’homme a gagné….. sa liberté.

C. MONTALTO

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